Musique et Résonance émotionnelle

Musique et Résonance émotionnelle

Musique et Résonance émotionnelle

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«  La musique nous fournit la matière d’une reconnaissance … »         

                                                         Guy Rosolato   (1924-2012)

Petite mise au point concernant la musicothérapie   

par  Roland VALLÉE

Lorsqu’on se donne le noble objectif de réduire la souffrance (d’ordre émotionnel, psychique) chez le Sujet que nous prenons en compte, en séance de musicothérapie, il nous paraît évident, en premier instance, de ne pas oublier, tout ce qui peut créer de la souffrance, à savoir, entre autres :  la comparaison, le jugement de valeur, la négation des valeurs propres, la rationalisation à outrance, le fait de considérer la partie pour le tout, l’interprétation abusive, la projection, la non acceptation de la différence, nos certitudes, nos croyances, nos besoins, et nos exigences excessives, incontrôlées, la toute-puissance, la rigidité d’esprit, l’entretien du conflit, la pensée conditionnée, l’attachement émotionnel … 

Pour tout un chacun, la vigilance s’impose à tous ces niveaux, mais bien entendu, c’est sans concession pour le musicothérapeute qui, lui, va être confronté aux chocs émotionnels de Sujets en proie, au stress, à l’anxiété, à l’irritabilité, à l’instabilité, à la violence, à la peur, à la confusion, à l’isolement…, et qui va travailler précisément, sur l’analyse de la résonance émotionnelle du Sujet, à partir du support sonore et musical qu’il met en place, et de la rencontre corporelle qui s’en dégage !

Alors la musique dans tout ça !

Un musicothérapeute, digne de ce titre, se doit de préciser qu’il ne croit absolument pas à l’omnipotence thérapeutique de la musique.  Il faut arrêter de dire que la musique guérit, en elle-même, la musique ne guérit pas. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu’il n’y a pas d’aspect  définitif et universel  au sein de l’élément sonore en soi. Chaque être réagit selon son mode propre.

L’interprétation perceptive de la musique varie suivant les influences, selon les Sujets. Certains intervalles de trois tons (fa-si), par exemple, sont appréciés en Indonésie comme un facteur d’apaisement, et de stabilité, alors que le même intervalle, en Europe, est considéré comme irritant, instable et indésirable.

Les réactions de l’écorce cérébrale, et par là, les effets sensoriels, affectifs, intellectuels, produits par telle ou telle stimulation sonore, peuvent être très diverses.  N’oublions pas que notre cerveau contient au moins 100 milliards de neurones, et de ce fait, soyons modeste, c’est un minimum,  admettons que selon les individus, la réceptivité sonore et musicale reste extrêmement variable.

Ce qu’il faut dire, c’est que l’évolution thérapeutique est déterminée, par le comment sera utilisée la musique par le musicothérapeute, et par sa compétence d’analyse de la résonance émotionnelle du Sujet.

C’est véritablement la capacité du musicothérapeute à recevoir l’émotion musicale (celle du Sujet, mais aussi, la sienne propre, bien évidemment)  qui permettra à toute émotion, génératrice de désordre, de s’acheminer, par la prise de conscience progressive d’une émotion refoulée, vers une harmonie réparatrice.  

La musique remédie au déséquilibre entre l’esprit et le corps, elle les unifie, à condition que le musicothérapeute maîtrise la réunion des qualités inhérentes au complexe sonore qui influence le comportement (hauteur, intensité, durée, mélodie, rythme, voix, timbre instrumental…).

La musique aide le Sujet  à découvrir le dedans de sa matière. La prise de conscience de l’émotion est bénéfique, car elle va permettre de lever des inhibitions. Le support musical favorise une déconnexion pensée-action.  Il importe de trouver les musiques qui touchent, celles qui atteignent la sensibilité du Sujet, celles  qui trouvent résonance en lui.                                 

Au musicothérapeute d’ouvrir le tonus vital dans chaque rencontre, au plein des syntonies possibles (s’intégrer pleinement à l’instant). Pour obtenir une meilleure accommodation émotionnelle, les rythmes physiologiques (cardiaques – pulmonaires), les rythmes psychologiques (affectifs, passionnels, intellectuels, spirituels), et les rythmes musicaux, doivent être en corrélation.

Il faut sans doute du temps, de l’expérience, et surtout un niveau élevé de reconnaissance, pour accéder à la meilleure évolution possible, mais, comme l’exprime si bien Gustave-Nicolas Fischer, « le lien à l’autre nous mène vers ce qu’il y a d’infini en nous ». Il importe donc au musicothérapeute de s’inscrire dans ce cheminement primordial, sachant également que le travail engagé parallèlement dans le registre corporel nous fortifie au niveau de la relation de reconnaissance, citons Françoise Dolto, « La mise en jeu du corps nous oblige à être vrai ».

Tentons  alors de comprendre quelque peu, comment s’installe, progressivement, au cœur de tout être, la résonance émotionnelle :

La construction identitaire de l’être humain se met en place à partir de ses premières expériences corporelles, et de son acceptation de l’autre, en tant que différent de soi. C’est ainsi qu’émerge la conscience de soi. Ces  premières expériences corporelles engrangent des affects divers, de plaisir ou de souffrance, de même que, dans les rencontres premières, la présence et l’absence, la réponse et le silence, vont créer le désir ou le repli.

Tous ces vécus, immanquablement, vont laisser des traces mnésiques chez l’individu, qui pourront, de temps à autre, en séance de musicothérapie, se retrouver stimulées, sous l’effet d’une mobilité corporelle initiée par la musique, et provoquer ainsi une résonance émotionnelle spécifique. C’est dans cette optique que nous devons  comprendre la toute première importance que représente, dans le cadre des séances de musicothérapie, l’engagement corporel (du Sujet, comme du musicothérapeute), associé aux vibrations multiples du sonore et de la musique.

Les empreintes émotionnelles, mises en résonance par la musique, nous permettent ainsi de passer du pulsionnel au symbolique, en quelque sorte, en leur attribuant une force de vie, une affirmation de soi.

Quand le musicothérapeute parle de résonance en soi, cela veut dire « qu’il y a une partie de moi, en moi, qui est touchée par une vibration particulière, laquelle est émise à l’extérieur de moi, mais qui vient résonner à l’intérieur de moi », c’est ainsi alors qu’une larme coule, qu’un visage pâlit ou rougit, qu’une respiration s’accélère, qu’une voix tremble, qu’un cœur s’emballe, qu’un mal de ventre se déclenche, qu’un muscle se raidit, qu’un cri jaillit, qu’un souffle se prolonge, qu’une paix s’installe…

Notre histoire sonore vécue nous imprègne irrémédiablement, et dans notre souffle, dans notre respiration, dans nos mouvements, notre regard, notre rythme, notre voix, viendront s’inscrire, à un moment donné, souvent inconsciemment, nos vibrations les plus intimes, traduites alors en tensions, en pulsions, en résistances, en dérèglements de toutes sortes.  Si à cet instant-là, je me sens respecté, non jugé, dans ma mouvance émotionnelle, ou mieux encore, si je me sens fortifié dans mon droit à être différent, alors j’ai quelque chance d’accéder à l’émergence du sens, de développer ma créativité, d’entrer dans un espace de symbolisation. Nous sommes là, au cœur de la musicothérapie. 

Chez l’être qui naît, l’émotion précède le langage, mais déjà, à travers l’utérus, les premiers sons, sont vibrations. Le fœtus vibre, est sensible aux sons graves (les f,s,ch, ne sont pas perçus), entend de manière régulière le péristaltisme intestinal, les battements cardiaques, et aortiques. Il est établi que pendant les six dernières semaines de grossesse, les entendus sont repérés de manière significative après la naissance. La musicalité de la voix de sa mère constitue un appel irrésistible pour le bébé. Dès les premiers mois, il reproduit spontanément ses vocalises, imite les contours intonatifs, et les variations d’intensité, et de durée de la parole.  Entre douze et dix-huit mois, les chansons spontanées apparaissent, vers trois ans, les chansons familières, et vers six ans, une stabilité rythmique et mélodique. Toute cette dynamique sonore de la petite enfance, autour des sons entendus, des voix, des chansons, des mélodies, est conservée très longtemps, dans notre mémoire émotionnelle.

Les émotions éprouvées, tout au long de notre vie, sous l’emprise du sonore, transcendent tout ce qui est signifiable par le mot. Le sonore prend possession très tôt en nous, et ne permet pas aussi facilement de rester sur son quant-à-soi, comme nous pouvons le faire avec les mots.  Ǻ ce propos, il nous semble intéressant de faire référence à la distinction que fait Erwin Straus, entre ce qu’il nomme « espace optique », et « espace acoustique ». Straus considère l’espace optique, comme l’espace du mouvement finalisé, dirigé, sur mesure, espace traversé, à but précis. L’espace acoustique, lui, est celui des mouvements de vie qui remplissent cet espace, il ne se rapporte pas à une direction précise, c’est un espace de résonance, « de mouvement lié au sentir (le pathique), un mouvement présentiel, qui engendre un lien de réponse dans l’interpellation de ce qui est reconnu comme une présence ».

C’est dans cet espace acoustique, en quelque sorte, que viennent s’inviter les résonances émotionnelles du Sujet en musicothérapie, portées par son expression corporelle totalement libre, non dirigée. La musique, dans cet espace, vient conférer une ampleur, une vie, une énergie, une ouverture, que le Sujet ne saurait peut-être pas trouver indépendamment d’elle. La reconnaissance, alors, par le musicothérapeute, de la résonance émotionnelle du Sujet dans cet espace acoustique, permet à ce Sujet, de s’affirmer existant (pour un Sujet démuni de parole, cette reconnaissance est fondamentale, et vient se substituer en quelque sorte à sa parole manquante).

« Naître à La vie, c’est entrer en musique », je cite là, Michel Serres, et inversement, entrer dans la musique, c’est faire naître à nouveau nos mouvements émotifs, stimuler nos pensées, notre imaginaire.

L’enfant qui découvre les sons, s’amuse, joue avec eux, et en jouit sans aucun doute. Il va découvrir rapidement que ses émissions vocales suscitent, généralement, des retours positifs  de l’entourage, et ainsi vont grandir les échanges. Il comprend vite le pouvoir qu’il acquiert sur l’autre, par le biais des sons qu’il envoie !

L’enfant atteint d’autisme, lui, par contre, ne passe pas, du son pur, au son pour, pour l’autre ! Il ne répond pas à l’appel de l’autre, il ne semble pas s’intéresser à ce qui donne du plaisir à l’autre.  Il est prisonnier du son, en quelque sorte, il est dans le champ du langage, mais hors discours, sa voix ne constitue pas pour lui un objet pulsionnel, ce qui lui rend impossible la fonction de la parole.

En musicothérapie, il ne s’agit pas d’analyser les conflits, mais de stimuler la résonance émotionnelle du Sujet dans l’instant même de la rencontre.

Le contact corporel donne du contenu affectif à la rencontre, à condition, bien entendu, qu’il y ait reconnaissance réciproque, dans un respect absolu de l’autre. La mise en acte en musicothérapie,  cela doit être,  pour le Sujet, un temps pour « l’extraordinaire », pour se mettre en mouvement, développer une force de vie (espace acoustique).

Le travail autour la respiration, du souffle,  du vocal, est  souvent un des premiers supports efficace, pour accueillir la résonance émotionnelle du Sujet.

L’intensité, la mélodie, le rythme, le timbre, le registre, les inflexions, autant d’éléments constitutifs de la voix du Sujet qui viennent nous faire signe, témoigner peut-être de la présence de vibrations particulières, liées à sa propre histoire.

Quand le Sujet parvient à être en pleine confiance, totalement dégagé de la préoccupation d’un « bien faire », il peut « s’éclater » dans l’échange vocal avec le musicothérapeute, dans le sens de « donner des éclats de voix » tous azimuts, car à ce moment-là, c’est l’émotion qui prime sur l’esthétique, sur le conventionnel, et il peut non seulement jouer avec sa voix, mais en jouir, l’insensé dans cet instant a le droit d’existence, l’impossible devient possible, et cela peut aller jusqu’à une certaine forme de transcendance chez le Sujet, sa créativité naît de cette jouissance , un peu, au fond, comme sont nés le scat, ou la blue note !

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